Esparron-de-Verdon
Il est peut être un peu présomptueux de faire remonter l’histoire d’Esparron-de-Verdon à la préhistoire…
Pourtant,
> les inventaires archéologiques qui ont été faits avant la création du lac d’Esparron ont montré des traces d’occupations humaines dans les grottes le long du Verdon, au paléolitique (-6000), au néolithique (-4000), à l’âge du bronze (-2000) et à l’âge du fer.
> Avec le feu et les outils qui se perfectionnent, les chasseurs deviennent cultivateurs, se sédentarisent et occupent les points hauts protégés par des murs de pierre : un oppidum sur le plateau de la Séouve au bord de la falaise surplombant le Verdon en amont du lac au début des gorges, un autre oppidum au confluent du Colostre et du Verdon.
> Plus tard la colonisation romaine se confronta aux tribus celto-ligures des Reii (capitale Riez tribu des Salyens), et amena dans les vallées les plus fertiles des villa gallo-romaines : l’historiographie régionale place notamment une villa gallo-romaine sur le chemin Saint Vincent reliant Bertagne à Bellioux, et une autre à Albiosc. De cette époque vraisemblablement datent une dizaine de sépultures, mises à jour en 1931 puis fouillées en 1951 puis en 1989 ; L’espace funéraires se compose d’une tombe à coffre de lauze, d’un coffrage de dalles et de six sépultures sous tuiles.
En 439, il est fait mention d’un « Castrum Esparronis », point de surveillance contre les invasions barbares puis contre les Sarrazins qui lanceront de rezzous jusqu’à leur expulsion vers 950.
La première trace écrite parlant du château d’Esparron provient du cartulaire (ou registre des propriétés) de Lérins qui enregistre en 990 une charte de donation rapportant la dédicace d’une ecclesie beati Vincentii martiris, édifice situé juxta castrum Sparronis, in Bulzolschi valle.
À partir du XIe siècle, le castrum d’Esparron apparaît à plusieurs reprises dans les sources écrites. On le retrouve ainsi en 1237/1238, aux côtés de celui de Quinson et d’Albiosc, dans les statuts du bailliage de Digne. À la fin du XIIIe siècle et durant le XIVe siècle, le castrum de Sparrona est attesté dans le bailliage de Moustiers-Sainte-Marie, tout comme celui d’Albiosc. Il figure également dans le livre Potentia, dans la liste des impôts affermés suite à la réunion des États de Provence à Pertuis (1398)
Les sites castraux, qui semblent se multiplier à partir de la fin du Xe siècle et au XIe siècle, paraissent être fondés de préférence sur des éperons et autres espaces exigus. Les constructions originelles sont mixtes (bois, terre et pierre) avant de subir une « monumentalisation » (adaptation au relief, construction d’une enceinte, d’une tour maîtresse et de bâtiments à vocation domestique). À partir des XIIe-XIIIe siècles, elles se voient agrémentées d’un habitat et d’un lieu de culte.
Esparron tombe dans l’escarcelle des Castellane par le mariage d’Agnès Spada, dame de Riez,
avec Boniface V de Castellane en 1226. (d’où les armoiries épée courte).
Ce même Boniface V s’associe à Marseille dans sa lutte contre Charles d’Anjou qui ambitionnait d’assujettir les seigneuries provençales. Boniface est poursuivi jusque dans ses montagnes. Une bataille meurtrière eut lieu à Esparron en 1263, tuant 4 chevaliers et une grande partie de la population.
Au gré des alliances et des luttes de domination de Charles d’Anjou comte de Provence, Esparron relèvera de plusieurs co-seigneurs jusqu’à ce qu’en 1411 Bertrand d’Esparron rachète la part de son co-seigneur, Esparron restant dans la famille de Castellane jusqu’à ce jour, à l’exception de quelques années en 1791 où le château a été vendu comme bien national, et racheté « pour compte d’ami » pour revenir dans la famille.
Sur son rocher le village se blottit au pied du château, protégé par l’église. La raison d’être du village et du château est purement économique ou fiscale, percevoir les péages sur les marchandises, les animaux et les hommes passant le Verdon. Cette voie de transhumance ou « draille » venait d’Arles et de la Basse Provence pour monter vers les Alpes et ses verts pâturages. On passait le Verdon à gué ou par barque jusqu’à ce que la ville d’Arles paie un nouveau pont en 1720.
Albiosc
Albiosc, village d’irréductibles Gaulois ?
Tout le monde connaît le début de l’histoire : « Nous sommes en 125 avant Jésus-Christ [1]. Toute la Gaule est occupée par les Romains… Toute ? Non ! Un village peuplé d’irréductibles Gaulois résiste encore et toujours à l’envahisseur » [2].
Albiosc, capitale des Albices ?
Les textes anciens donnent quelques éléments de réponse !
« Ce village, dit en latin Albioscum, est situé sur un coteau et comprend 99 âmes (en 1861). Son étymologie vient d’Albieci ou Albici, les Albices qui formaient une nation à part parmi les anciens peuples de Provence. Quelques auteurs pensent qu’Albiosc était primitivement la capitale des Albices et qu’il se dépeupla et fut abandonné lors de la fondation de la colonie romaine de Riez [3] ».
J.J.M. Feraud s’interroge : « La ville capitale de la nation des Albices, quelle était-elle ? Papon la place à Albiosc, petit village à 14 km sud ouest de Riez, ainsi que plusieurs auteurs après lui ont répété que les Albices, peuplade des environs de Riez, avaient pour capitale Albiosc ». [4]
Mais qui étaient les Albices ?
« Les peuples des Basses-Alpes furent les derniers à passer sous le joug de la domination romaine dans le pays de Provence ». [5] « … Huit peuplades sont désignées sous le nom générique d’Albici ou d’Albicœi et constituent une cité ou nation distincte ». « Jules César représente les Albices comme de puissants auxiliaires des massiliens ». [6]
« Il les qualifiait d’hommes barbares, grossiers et montagnards. Leurs mœurs étaient rudes, agrestes et à demi-sauvages ; mais leur caractère le plus saillant était d’être belliqueux et infatigables ». [7]
« … César vante leur bravoure et leur intrépidité ; il les montre comme balançant la brillante ardeur et la pétulante valeur de ses propres soldats. Dans son livre second, le général historien nous montre encore ces mêmes Albices ardents, infatigables et toujours prêts à se ruer sur l’ennemi ». [8]
En effet, « … en l’an 49 avant J.-C., lorsque Marseille, fermant ses portes à Jules César, eût à soutenir l’attaque des légions romaines, vit-on les Albices accourir à sa défense » [9] .
Entre myrthe et réalité !
D.J.M. Henry affirme quant à lui : « L’idée de concentrer les Albiœci dans le territoire d’Albiosc, petit hameau qui n’a jamais pu être beaucoup plus considérable qu’il ne l’est aujourd’hui, et où dans aucun tems, on n’a trouvé les moindres vestiges d’antiquité, paraît erronée quand on connaît bien le pays ». [10]
Albiosc n’a jamais été l’Albèce capitale des Albiæci. Si ce petit hameau avait joué un rôle aussi important dans l’histoire de notre pays, il n’eût pas manqué d’attirer dans son sein quelques familles romaines, et on y trouverait aussi de ces traces d’anciens établissements comme on en voit encore dans tous les pays des environs… et dans ce dernier village rien n’a jamais été découvert, pas même de ces débris de tombeaux si communs dans tout le reste du département ». D’autant que l’auteur antique Pline « …nomme parmi les cités latines, Albèce appartenant à la peuplade des Reiens ; Albèce n’est donc ici autre chose que Riez ». [11]
« Il est plus probable de dire que les Albices, en perdant leur nationalité, voulurent en conserver au moins le souvenir et qu’ils donnèrent leur nom à l’un des bourgs voisins de la colonie ». [12]
Mais !
En 1997, dans le cadre du projet « Verdon », l’organisation d’une campagne de prospection sur plusieurs communes, notamment Esparron-Albiosc, a permis aux archéologues d’Aix-en-Provence de faire quelques découvertes intéressantes non loin du village d’Albiosc.
En effet, « l’ensemble des recherches et des prospections au sol ont permis la détection d’anomalies liées à la présence d’un important site antique dont l’implantation est assez originale sur 2 endroits bien distincts. Les sites de Cadenet 1 et Cadenet 2 suggèrent l’existence d’un habitat perché du Haut-Empire richement décoré (seuil monumental avec trou de crapaudine, enduits peints, statue féminine en marbre…) où les prospecteurs ont découvert de nombreux fragments de dolium [13], de tegulae, d’imbrices [14], de tessons de céramiques antiques ainsi que la présence d’un important radier lié à un bassin et un fragment de main en marbre blanc de belle facture provenant d’une statue » [15].
A la suite des prospections, une campagne de fouilles fut menée en mai 1999 sur les 2 sites. Elle a révélé plusieurs structures d’habitat et de stockage liées à une activité agricole, comprenant de nombreux murs en galets liés à l’aide d’un mortier de chaux, des pavements également en galets ainsi que plusieurs fonds de dolium.
Même si en l’état actuel des recherches et des connaissances, aucun vestige monumental digne d’une capitale n’a été découvert, les modestes vestiges mis au jour attestent bien de la présence de nos « ancêtres les Gaulois » sur la commune d’Albiosc et ils y ont vécu et travaillé pendant plusieurs siècles… !
[1] En 125 avant J.-C., la prise de l’oppidum d’Entremont, près d’Aix-en-Provence, par les légions romaines marque la fin de la confédération Salyenne.
[2] Extrait tiré de la BD « Astérix et Obélix », de R. Goscinny et A. Uderzo
[3] J.J.M. Feraud : Histoire géographie et statistique du département des Basses Alpes, 1861, p. 344
[4] Idem, p. 4
[5] Idem, p. 8
[6] Idem, p. 3-4
[7] J.J.JM. Feraud : Histoire de la ville de Riez, 1885, p. 9 et 11
[8] J.J.M. Feraud : Histoire géographie et statistique du département des Basses Alpes, 1861, p. 5-6
[9] Idem, p. 5 et 9
[10] D.J.M. Henry : Recherches sur la géographie ancienne et les antiquités du département des Basses Alpes, 1818, p.16
[11] Idem, p.18-19
[12] J.J.M. Feraud : Histoire géographie et statistique du département des Basses Alpes, 1861, p.344
[13] Enorme jarre en terre cuite servant au stockage des céréales
[14] Différentes tuiles romaines
[15] Rapport de prospection thématique – campagne 1997 (communes d’Allemagne-en-Provence, Esparron-de-Verdon et Montagnac-Montpezat), coordination Dominique Garcia et Florence Mocci – Centre Camille Jullian (U.M.R 6573 du CNRS / Université de Provence)